Aux HCL, des ultrasons de précision contre le cancer de la prostate
Depuis plus de 25 ans, le service d’urologie des HCL s’est imposé comme un pionnier du traitement du cancer de la prostate par ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU, pour high intensity focused ultrasound). Aujourd’hui, cette expertise entre dans une nouvelle ère avec le projet de recherche hospitalo-universitaire Perfuse1. Objectif : affiner encore le traitement et en faire une alternative thérapeutique de référence pour les cancers localisés.
Préserver les fonctions naturelles sans perdre en efficacité
Depuis les premiers traitements en 1996, le traitement par ultrasons focalisées de haute intensité n’a eu de cesse d’évoluer. Il est aujourd’hui proposé en première intention à environ 25 à 30 % des patients atteints d’un cancer localisé de faible agressivité, et en traitement de rattrapage en cas de récidive. Les ultrasons sont couramment utilisés en échographie, mais « les HIFU, eux, concentrent un faisceau d’ondes sur un point précis de l’organisme, à l’instar d’une loupe focalisant la lumière, pour chauffer localement les tissus jusqu’à 95°C, entraînant leur destruction. Le point focal, de la taille d’un grain de riz, se déplace progressivement pour couvrir la zone ciblée, à la manière d’une imprimante 3D », explique le Pr Sébastien Crouzet, coordinateur du projet de recherche.
Historiquement, le traitement de référence du cancer de la prostate — chirurgie, radiothérapie ou curiethérapie — impliquait l’ablation totale de la glande. Une intervention lourde, souvent associée à des effets secondaires durables. Mais les progrès de l’imagerie, notamment de l’IRM multiparamétrique, ont changé la donne : il est désormais possible de localiser très précisément les foyers tumoraux et donc de traiter uniquement la lésion cancéreuse. « C’est tout le sens de la stratégie focale : préserver ce qui peut l’être, sans perdre en efficacité », affirme l’urologue. Résultat : un risque d’effets secondaires divisé par huit et une meilleure préservation des fonctions sexuelles et urinaires.
Un RHU, trois axes de recherche et trois études cliniques
Le projet Perfuse réunit les équipes du laboratoire LabTau, l’unité mixte de recherche Lyon1/Inserm U1032, spécialisée dans les ultrasons thérapeutiques, la société EDAP TMS, fabricant du dispositif Focal One, ainsi que les services de radiologie et d’urologie de l’hôpital Édouard Herriot. Il est structuré en trois volets principaux.
Le premier volet (work package 1) comporte trois études cliniques. L’étude Hifusa (randomisée contre surveillance active) compare le traitement focal immédiat par HIFU pour les cancers de la prostate à faible risque avec la surveillance active (actuellement le "gold standard" pour ces cancers). L'objectif est de démontrer que le traitement focal peut diminuer de manière significative le pourcentage de patients qui finiront par nécessiter un traitement radical, par exemple, une ablation totale de la prostate, en cas d'évolution du cancer. Les premiers résultats sont très prometteurs. « Les analyses intermédiaires montrent une réduction de 50% du risque de basculer vers un traitement radical, ce qui à terme pourrait concourir à changer les recommandations internationales », souligne le Pr Crouzet.
L’étude Focal (cohorte prospective) recueille des données robustes sur les résultats oncologiques, les récidives locales et la qualité de vie des patients traités pour un cancer de la prostate localisé par HIFU ciblé. Enfin, l’étude PSMA s’intéresse aux récidives après radiothérapie, souvent complexes à prendre en charge mettant en jeu la survie du patient. L’un des traitements principaux de rattrapage est les ultrasons focalisés. La précision de diagnostic et de traitement est un enjeu pour la réussite du traitement. Grâce à une imagerie hybride IRM-PSMA, les équipes parviennent désormais à cibler la zone résistante avec une précision inédite
Le deuxième volet (work package 2), en lien avec LabTau et Creatis, porte sur le développement de logiciels d’intelligence artificielle visant à mieux détecter et caractériser les foyers tumoraux sur les IRM de prostate. La difficulté est d’obtenir des résultats homogènes quels que soit les appareils IRM utilisés. « C’est pourquoi les solutions algorithmiques développées, qui associent des approches radiomiques et d’apprentissage profond (deep learning) seront évaluées sur une cohorte prospective de patients suspects de cancer de prostate recrutés dans 17 centres en France », précise le Pr Olivier Rouvière, chef de service de radiologie à l’hôpital Édouard Herriot et coordinateur du volet imagerie. Cet axe étudie également les différents paramètres d’IRM de la prostate pour prédire l'efficacité du traitement par ultrasons focalisés. Enfin, le programme contient une étude sur l’élastographie, technique visant à évaluer la dureté des tissus. Sachant qu’une prostate cancéreuse est souvent plus dure au toucher rectal, l’élastographie pourrait permettre d'ajouter cette information à l'IRM classique pour mieux caractériser les zones suspectes.
Quant au troisième volet du RHU, il se concentre sur l’innovation technologique. L’objectif est d’optimiser la technologie HIFU existante et développer de futures innovations. En ligne de mire : des séquences de traitement plus fiables et des paramètres de tir personnalisables pour assurer une destruction tissulaire reproductible, quelle que soit la situation clinique (taille de la prostate, vascularisation). Ces travaux sont menés en collaboration étroite avec le partenaire industriel.
Du local à l’international : un dialogue constant avec la science, la technologie et les patients
Le dispositif Focal One, mis au point par la société EDAP TMS, implantée à Vaulx-en-Velin et désormais leader mondial dans le domaine, équipe aujourd’hui plus de 54 centres en France et 90 aux États-Unis. En novembre 2025, le Pr Sébastien Crouzet sera présent au congrès international d’urologie qui se tiendra au Brésil. Il représentera le service d’urologie des HCL figurant parmi les tout premiers centres français en volume d’activité pour le traitement du cancer de la prostate, avec plus de 3 000 patients pris en charge. « Au-delà des chiffres, c’est une certaine idée de l’urologie que nous défendons : celle d’une spécialité en dialogue constant avec la science, la technologie et les patients. »
Alors que le cancer de la prostate reste le cancer le plus fréquent chez l’homme2,- 65 000 cas et environ 8 000 décès par an en France -, les équipes lyonnaises ont bon espoir que le traitement par HIFU devienne un standard remboursé par la sécurité sociale, accessible à tous les patients éligibles. « Nous ne remplaçons pas la chirurgie ou la radiothérapie. Mais nous ajoutons une corde à l’arc thérapeutique. Une corde qui vient enrichir les traitements et améliorer le soin aux patients », concluent les Pr Sébastien Crouzet et Olivier Rouvière.
1. Pour personalized focused ultrasound surgery, chirurgie personnalisée à ultrasons focalisés. 2. Le dépistage par dosage sanguin de l'antigène spécifique prostatique (PSA) est recommandé à partir de 50 ans (ou 40-45 ans en cas d'antécédents familiaux). Un dépistage précoce réduit significativement la mortalité liée au cancer de la prostate.