Allomap, vers un suivi moins invasif des greffes cardiaques ?
La transplantation cardiaque demeure la meilleure option thérapeutique pour les patients atteints d'insuffisance cardiaque avancée. Cependant, le risque de rejet impose un suivi régulier des patients. Actuellement, en dehors du suivi clinique et échographique, la biopsie myocardique reste l'examen de référence, impliquant des biopsies de surveillance systématiques et des biopsies réalisées en cas de suspicion de rejet. Ces procédures, bien que nécessaires, ne sont pas sans risque (iatrogénie) et engendrent des coûts d'hospitalisation importants.
Le test Allomap a été développé dans les années 2 000. Il s'agit d'un test sanguin qui détecte les variations d'expression génique à partir de l'ARN isolé des cellules du sang. Ce test identifie des gènes sous-exprimés ou surexprimés dans les situations de rejet et a été intégré dans les recommandations internationales de suivi des greffes cardiaques dès 2010. Son utilisation est donc proposée pour détecter la présence de rejet ou pour orienter les patients vers une biopsie en cas de positivité du test. Néanmoins, malgré ces recommandations, le test Allomap n'est pas disponible en France ni en Europe en raison de l’absence de plateformes de test et de prise en charge par la Sécurité sociale.
Une évaluation médico-économique
C’est dans le but d'évaluer l'intérêt du test Allomap dans la prise en charge des patients greffés cardiaques en France, que l’étude multicentrique, randomisée et contrôlée nommée Cupidon1 a été proposée en 2015 par le Dr Laurent Sebbag, chef du service d'insuffisance cardiaque, assistance et transplantation à l’hôpital Louis Pradel, en collaboration avec la cellule innovation des HCL. L'objectif principal de cette étude était de démontrer si l'utilisation du test Allomap pouvait permettre d'éviter des biopsies invasives et coûteuses, tout en améliorant la qualité de vie des patients greffés.
L'étude a été conçue avec une période d'attente de cinq mois après la greffe pour stabiliser les traitements. Le premier groupe a bénéficié d'un suivi basé sur les biopsies programmées (jusqu’à dix entre le cinquième et le trente-sixième mois), tandis que le second groupe a été suivi par le test Allomap. Dans ce dernier groupe, la biopsie n'était réalisée qu'en cas d'anomalie du test sanguin. L'étude prévoyait la collecte de données cliniques et médico-économiques sur trente mois suivant le patient et jusqu’à trente-six mois après sa greffe. Entre 2016 et 2023, 196 patients ont été randomisés dans 12 centres français participant à l'étude, avec 190 patients finalement analysés, d’un âge moyen d'environ 50 ans, et principalement atteints de cardiomyopathie dilatée. Les tests sanguins ont été centralisés et analysés sur la plateforme Allomap implantée au CHRU de Strasbourg.
Des résultats prometteurs et inattendus
Les résultats ont montré une réduction significative de 59 % du nombre de biopsies nécessaires dans le groupe suivi par le test Allomap (312 biopsies) par rapport au groupe suivi par biopsies systématiques (750 biopsies).
Il est important de noter que des biopsies ont tout de même été réalisées dans le bras Allomap en cas d'anomalie du test », précise le Dr Laurent Sebbag.
Concernant les rejets cellulaires, aucune différence pertinente n'a été observée entre les deux groupes, malgré un plus grand nombre de rejets identifiés dans le bras biopsie, ce qui s'explique par le plus grand nombre de biopsies réalisées. La survie des patients est comparable dans les deux bras de l'étude, et aucune différence significative n'a été constatée en combinant les critères de rejets, de décès et de dysfonction cardiaque.
L'évaluation médico-économique a révélé de manière inattendue que le coût total de prise en charge des patients dans le bras Allomap (environ 39 000 €) était plus élevé que dans le bras biopsie (environ 23 000 €). Cette différence s'explique principalement par le coût élevé du test Allomap au moment de l'étude (plus de 2 000 € par test, avec 840 tests réalisés). L'analyse du rapport coût-efficacité et de la qualité de vie mesurée n'a pas mis en évidence de différence significative en termes de qualité de vie entre les deux groupes.
De nouvelles perspectives ?
Malgré l'absence d'impact économique favorable dans les conditions de l'étude et l'absence de différence significative sur la qualité de vie, l'étude Cupidon a démontré qu'Allomap est un outil sûr permettant une réduction importante du nombre de biopsies protocolaires dans le suivi des patients greffés au long cours, sans augmenter le risque d'événements indésirables tels que le rejet ou le décès.
« Environ 30 % des patients du groupe Allomap n'ont eu aucune ou une seule biopsie au-delà du cinquième mois après la greffe, ce qui représente un changement significatif dans la stratégie de suivi », souligne le Dr Laurent Sebbag
Ainsi, sous réserve d'une évolution du coût du test Allomap (attendu à environ 800 €), cet outil pourrait représenter une avancée pour réduire l'agressivité du suivi par biopsies systématiques.
« Avec la démocratisation des techniques de mesure de l'expression génique et la diminution de leurs coûts, nous espérons pouvoir proposer un dossier de remboursement dans les deux ans », conclut le cardiologue.
1 Pour évaluation médico-économique pour l'impact du test Allomap dans le suivi des patients transplantés cardiaques.