« Explorer la perception de la fatigue ouvre des voies passionnantes », Shotaro Tachibana, kinésithérapeute et chercheur

Son projet est ambitieux : caractériser la perception de la fatigue. Un travail mené aux HCL en collaboration avec le Centre de recherche en neurosciences de Lyon et l’Université Lyon 1.

Le goût de la recherche est né spontanément quand il a constaté les formidables progrès de la médecine dans son domaine d’intervention : les maladies neuromusculaires. Diplômé en 2007, Shotaro Tachibana a d’abord exercé dans le secteur libéral. Mais, après quelques années, il se rend compte que cette activité de kinésithérapeute isolé ne lui convient pas. Il ressent le besoin de rompre la routine, d’être stimulé par l’émulation d’une équipe, de découvrir de nouveaux horizons. Il intègre alors l’Institut de myologie à Paris et, plus précisément, la plateforme d’essais cliniques pédiatriques. De plain-pied dans le monde de la recherche, le kinésithérapeute vit une période exaltante. Avec les nouveaux traitements, il constate des avancées parfois spectaculaires. Lui, le kinésithérapeute, est au premier rang pour évaluer les fonctions motrices et respiratoires des patients traités : « Au cours d’un essai clinique, j’ai fait la connaissance d’un enfant atteint d’une myopathie myotubulaire, alité, avec une motricité limitée et trachéotomisé. Sa réponse à un traitement innovant a été très positive. Aujourd’hui il marche et fait du vélo. » Cette science en ébullition le fascine et l’encourage à concilier pratique clinique et investigation scientifique.

En avril 2023, il rejoint l’Escale, le service de médecine physique et réadaptation pédiatrique des HCL, implanté sur le groupement hospitalier Est, à deux pas de l’hôpital Femme Mère Enfant. « Il cherchait un profil de clinicien sensibilisé à la recherche. » Ce Parisien de naissance, père de deux filles, enrichit ses compétences au contact des patients du service et de leurs parents et auprès des professionnels expérimentés qui constituent l’équipe médicale et paramédicale de l’Escale. Une fois de plus, il constate des avancées de la médecine et du soin. « Le traitement de l’amyotrophie spinale infantile a fait de grands pas et permet à des enfants de survivre à la maladie. De plus, le dépistage systémique à la naissance améliore les chances d’observer par la suite une évolution motrice positive pour les enfants traités précocement. C’est très enthousiasmant. » Côté recherche, il est impliqué dans le RHU Smart, recherche hospitalo-universitaire visant à mieux décrire la pathologie, en identifier les biomarqueurs pertinents et favoriser l’émergence de traitements de l’atrophie musculaire.

Une approche créative

À la rentrée universitaire 2025, il se lance un nouveau défi : une thèse de doctorat qu’il soutiendra à l’université Lyon 1, sous la direction des professeures Carole Vuillerot, cheffe du service de médecine physique et réadaptation pédiatrique des HCL et Sophie Jacquin-Courtois, cheffe de service en médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Henry Gabrielle. Son investigation scientifique, fruit d’une réflexion personnelle issue du terrain, porte sur la perception de la fatigue. Créatif, ambitieux et persévérant, le chercheur de 43 ans suit un axe de recherche inspirant, n’hésitant pas à sortir des sentiers parfois trop balisés des appels à projets. Dans ce cadre, il collabore avec Éric Chabanat, chercheur et maître de conférences à l’université Lyon 1, co-responsable de l’équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL).

Cette recherche translationnelle pose de nombreuses questions : « la fatigue est l’un des symptômes les plus rapportés par les patients atteints par les maladies chroniques, enfants et adultes », explique-t-il. « Un symptôme dont on ne sait pas toujours quoi faire. Nous poursuivons l’objectif de mieux l’évaluer et la caractériser à partir d’une méthodologie que nous sommes en train d’élaborer. » Ainsi, cette caractérisation de la perception de la fatigue chez les individus ouvre des voies d’investigation prometteuses et ô combien stimulantes. « Nous allons devoir définir la fatigue dans un contexte précis, alors qu’il n’existe pas de définition scientifique universelle. » La fatigue peut être musculaire, nerveuse, intellectuelle, etc., et sa perception peut varier en fonction de facteurs sociaux, économiques, culturels, historiques, familiaux, individuels ... « S’attaquer à la subjectivité de la fatigue est le grand défi soulevé par ce travail de recherche », commente-t-il.

Définir, expérimenter, analyser

Le projet de recherche va se dérouler en trois étapes complémentaires : une analyse comparative de la perception de la fatigue, des expérimentations et une analyse qualitative. La première étape vise à comparer la perception de la fatigue entre deux populations : des volontaires en bonne santé et des patients présentant un syndrome de Covid long. Cette comparaison doit permettre de distinguer les facteurs spécifiquement associés à la maladie de ceux qui relèvent de caractéristiques individuelles (habitudes de vie, contexte psychologique). L’objectif est de mieux identifier les déterminants de la fatigue et les facteurs de risque susceptibles d’influencer son intensité et sa sévérité.

La deuxième étape comprend plusieurs volets expérimentaux. Pour la mesure de l’activité quotidienne, les participants porteront un dispositif portable avec des capteurs magnéto-inertiels afin d’enregistrer leur activité physique réelle et d’examiner son lien avec leur perception subjective de la fatigue. Des tests physiologiques et cognitifs seront pratiqués dans le cadre d’un protocole combinant un test de fatigue musculaire et un test de fatigue cognitive. L’activité cérébrale sera évaluée à l’aide de la spectroscopie proche infrarouge fonctionnelle (fNIRS) pour identifier les zones impliquées dans la perception de l’effort et de la fatigue. Enfin, une analyse qualitative sera menée pour explorer la manière dont les deux groupes, volontaires sains et patients Covid long, décrivent et interprètent leur expérience de la fatigue et pour déterminer s’ils partagent ou non des représentations communes de ce phénomène.

Une vision à long terme

Shotaro Tachibana espère pouvoir soutenir sa thèse d’ici quatre ou cinq ans. À terme, sa volonté est de mettre en place une méthodologie de caractérisation de la fatigue robuste et rigoureuse. Pour cela, il compte aussi collaborer avec d’autres équipes de recherche en France et à l’international, promouvant une science libre, inspirée et ouverte à la diversité des approches, fondée sur les preuves et l’interdisciplinarité.

Une ambition qu’il aimerait voir soutenue, comme ses consœurs et confrères paramédicaux engagés dans un projet de recherche, par un statut à part entière qui permettrait de dégager du temps dédié à l’investigation scientifique. En attendant, il sait pouvoir compter sur le soutien de ses directrices de thèse, à commencer par sa cheffe de service qui a accepté de partager son temps de travail à part égale entre la recherche et la clinique.  Ou comment, de la recherche fondamentale au patient, la recherche translationnelle fait avancer le soin au bénéfice de tous.

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