« La recherche en addictologie avance au rythme de la société », Julia de Ternay, psychiatre addictologue
Quels usages faisons-nous des réseaux sociaux ? Quelles sont nos motivations ? Sommes-nous vraiment dépendants à nos contenus numériques ? Et quelle est la prévalence de l’usage problématique des réseaux sociaux dans la population générale ? C’est à cette question que l’étude « Purple » va tenter de répondre.
« On parle d’addiction aux écrans, aux smartphones. De nombreux articles ont paru, pour autant, la science n’a pas encore tranché : ces comportements relèvent-ils réellement d’une addiction, c’est-à-dire d’une maladie qui entraîne une prise en charge ? », interpelle Julia de Ternay, psychiatre, cheffe de clinique au CHU de Lyon et instigatrice du projet de recherche.
Officiellement, la seule addiction liée aux écrans reconnue à ce jour et depuis 2017 par l’Organisation mondiale de la santé est l’addiction aux jeux vidéo. Quand les comportements addictifs « engendrent de la souffrance et peuvent mettent en péril la santé physique et mentale. »
La psychiatre souhaite mener l’étude « Purple », née de sa réflexion sur l’évolution de la société à l’ère numérique. « Les technologies numériques ont envahi notre quotidien d’une manière très rapide et il a fallu nous adapter. Aujourd’hui les écrans font partie de notre vie et la plupart du temps l’usage qui en est fait ne pose pas problème. Cependant, pour certains, il peut l’être. C’est en s’intéressant aux usages que l’on en saura davantage sur nos comportements et que l’on pourra déterminer s’ils témoignent d’un comportement addictif, avec perte de contrôle, et occasionnent des impacts négatifs sur la santé mentale tels des symptômes dépressifs, anxiété, etc. »
Recherche sur données et réseaux sociaux
Un questionnaire comprenant quatre-vingts questions va être diffusé sur les réseaux sociaux. Les réponses, anonymes et confidentielles, devront rendre compte des usages : « Quelles sont les motivations ? Quels sont les moyens mis en place pour réguler sa consommation et celle de ses enfants ? Autant de questions qui demeurent pour l’instant sans réponses validées par des études scientifiques. »
C’est via Facebook, Instagram, Tik Tok, X et YouTube que le questionnaire atteindra les usagers identifiés en fonction de leur géolocalisation et de leur âge. À raison de centaines de milliers d’envois quotidiens, des usagers répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain verront apparaître sur leurs fils d’actualité une annonce les incitant à répondre au questionnaire dans le but de participer à l’étude. À partir des données récoltées, la psychiatre espère pouvoir montrer des liens entre la motivation et certains symptômes psychologiques ou psychiatriques, la régulation émotionnelle et l’usage intensif, par exemple.
Ce projet d’étude, premier du genre en France, devrait récolter une quantité massive de données. Leur traitement sera réalisé aux Hospices Civils de Lyon, avec la collaboration du professeur Benjamin Rolland, chef du service universitaire d’addictologie de Lyon (HCL/CH Le Vinatier/Lyon 1), de la professeure Julie Haesebaert, épidémiologiste au pôle de santé publique (HCL/Lyon 1), de Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences (CH Le Vinatier/Inserm) du professeur Joël Billieux (Université de Lausanne) et de la professeure Stéphanie Baggio (Université de Berne). « Les résultats analysés pourront donner lieu à des recommandations sur le bon usage des réseaux sociaux », espère la jeune chercheuse.
Une discipline très humaine
Pour Julia de Ternay, cet axe de recherche dans le domaine de la prévention représente le cœur de ses investigations. Sa réflexion actuelle porte sur la poursuite d’une thèse de science, dans laquelle elle creuserait le sillon de la médecine préventive auprès des jeunes adultes. Si elle a choisi d’étudier la psychiatrie à Lyon, c’est parce la ville est réputée pour la diversité de ses stages, la richesse de ses approches et son dynamisme en psychiatrie. Aujourd’hui, dans le service universitaire en addictologie de Lyon, l’un des leaders de la recherche en addictologie en France, elle baigne dans un environnement hospitalo-universitaire particulièrement stimulant.
À l’image d’une médecine en constante évolution, Julia de Ternay fait preuve d’ouverture et de curiosité intellectuelles. Elle explore avec le même intérêt les multiples facettes de sa discipline que les horizons de la sociologie et de la philosophie. Depuis 2021, elle collabore ainsi à l’animation d’un séminaire associant clinique et philosophie pour le Collège Supérieur de Lyon.
Au-delà des motivations intellectuelles, c’est aussi la relation au patient qui anime la chercheuse et cheffe de clinique en psychiatrie-addictologie. « Le traitement prend du temps et ne se résume pas à la pharmacologie. Les profils des personnes suivies sont très variés. La discipline qui évolue au rythme de la société, avance vite. J’aime aussi le fait qu’elle se tienne à l’écart des jugements moraux. Cette relation horizontale qui se noue entre le médecin et le patient est au quotidien une source de nombreuses satisfactions. »
Parcours hospitalo-universitaire en bref
2023 : cheffe de clinique, service universitaire d’addictologie de Lyon (Sual), hôpital Édouard Herriot. Diplôme d’étude spécialisée de psychiatrie, Université de Lyon.
2022 : master 2 « méthodologie et biostatistiques en recherche biomédicale ». Université Paris-Saclay. Stage de recherche au Centre d’étude des mouvements sociaux (École des hautes études en sciences sociales), Paris.
2017 – 2023 : interne en psychiatrie aux Hospices Civils de Lyon.
Julia de Ternay était l'invitée de la chronique santé de la Fondation HCL (RCF).
Elle rappelle en premier lieu la définition de l'addiction en tant que maladie et sa prise en charge. Puis, elle évoque de manière spécifique les addictions comportementales et ses classifications. Enfin, elle revient sur l'étude sur laquelle elle souhaite travailler avec son équipe pour étudier les comportements en lien avec les réseaux sociaux : le projet PURPLE.