Recherche en suicidologie : mieux comprendre pour mieux prévenir
La suicidologie est définie comme l'étude scientifique des comportements suicidaires et, plus généralement, des comportements autodestructeurs, incluant le décès par suicide. Le terme a été créé par le psychologue américain, Ervin Schneidman, fondateur, en 1959 à Los Angeles, du premier centre de recherche sur le suicide. « Les travaux initiaux portaient sur les personnes décédées par suicide, utilisant l'autopsie psychologique pour analyser a posteriori des éléments de l'histoire, des antécédents et des écrits pour comprendre le processus », vulgarise le Pr Emmanuel Poulet, chef du service de psychiatrie d’urgence des HCL. Et de souligner : « Le suicide est un processus extrêmement complexe. Bien qu'il soit qualifié de "mort évitable" et que le taux de décès à baisser au cours des 20 dernières années, le suicide demeure un problème majeur de santé publique. Il est important de comprendre cela pour éviter un sentiment de culpabilité chez les proches ou les professionnels ». C’est dans ce contexte historique et culturel que se sont développés des modèles de crises afin d’apporter des réponses en urgence. Plus récemment, la psychiatrie interventionnelle s’inscrit dans cette question de l’urgence en faisant appel à des approches intensives, pharmacologiques ou de neurostimulation.
De nouvelles perspectives de soin
La recherche en suicidologie poursuit plusieurs objectifs : identifier les profils à risque, tester de nouvelles approches thérapeutiques, évaluer les dispositifs de prévention, comprendre l’impact du suicide sur les proches et les professionnels. « Les outils d'évaluation permettent de mesurer l'intensité d'un état psychique à un moment précis. Cependant, il est crucial de comprendre que ces outils ne permettent pas de prédire la survenue d'un suicide. Ils servent à mesurer un niveau de risque pour adapter les procédures. »
Si l’acte suicidaire reste imprévisible, il n’est pas inéluctable. Le renforcement des savoirs et des pratiques permettra d’agir plus tôt, plus vite et mieux. Ainsi, en pharmacologie, plusieurs substances sont à l’étude. La kétamine a montré des effets rapides sur les idées suicidaires, parfois en moins de 24 heures, ainsi que des effets antidépresseurs précoces. La buprénorphine (Subutex), utilisée à très faible dose, pourrait améliorer les idées suicidaires intenses en deux semaines selon une étude multicentrique. Les psychédéliques (LSD, MDMA, psilocybine) suscitent également un vif intérêt scientifique de par leur action notamment sur la sécrétion de sérotonine. Parallèlement, la stimulation cérébrale offre d’autres perspectives. L’électroconvulsivothérapie (ECT), réservée aux cas sévères ou résistant, et réalisée sous anesthésie générale, n’est pas utilisée en urgence. En revanche, la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS), bien documentée à l’international, se développe depuis 1995, notamment dans les centres universitaires français. En outre, des protocoles accélérés (plusieurs séances par jour sur quelques jours) montrent des résultats prometteurs sur les dépressions résistantes et les idées suicidaires. « L’objectif en aigu est de tester si ces protocoles pourraient atténuer les idées suicidaires dès la première semaine. » La rTMS est aussi utilisée en recherche pour étudier le fonctionnement cérébral et moduler des circuits en lien avec l’impulsivité.
À l’hôpital Édouard Herriot : une psychiatrie d’urgence dynamique
En France, la mise en place du numéro national 31 14, de la branche psychiatrique du SAS (service d’accès au soin) en lien avec la médecine d’urgence, de dispositifs multimodaux de crise comme celui de l’hôpital Édouard Herriot illustre le dynamisme d’une psychiatrie d’urgence évoluant en fonction des données de la recherche. Aux HCL, près de 1 000 patients sont pris en charge chaque année dans ces structures de crise s’appuyant notamment sur une hospitalisation courte, de trois à quatre jours, afin de soulager rapidement la détresse et de réengager le patient dans une dynamique de soins. « La réactivité est un enjeu majeur pour réduire les réitérations et inscrire le patient dans son environnement » insiste le psychiatre. Chez les jeunes de 16 à 25 ans, les profils épidémiologiques ne diffèrent pas significativement de ceux des adultes, mais le risque de récidive est élevé dans les six à huit semaines après une première tentative. « D’où l’importance d’un suivi étroit et de dispositifs de prévention secondaire ». Parmi ces derniers, le plan de protection s’est imposé comme un outil simple et efficace. Élaboré avec le patient, il recense les stratégies à mettre en place face à une crise : contacts à appeler, activités de régulation émotionnelle, lieux de sécurité. Une étude nationale (PHRIP) évalue actuellement son efficacité. Plus de 2 000 patients seront inclus dans au moins treize centres d'urgence en France dont HEH, afin d’évaluer l'impact du plan de protection sur la réitération, la souffrance psychique, l'engagement dans les soins et la diminution des passages aux urgences à 6 mois.
Accompagner les proches, former les soignants
Le suicide affecte profondément les familles comme les professionnels de santé. Pour soutenir les proches confrontés à une mort violente, une consultation spécifique a été mise en place à l’hôpital Édouard Herriot. Portée par la Dr Laurène Lestienne, psychiatre, en lien avec le service de médecine légale du Pr Laurent Fanton, elle offre un espace d’écoute et d’accompagnement. Pour les soignants, une formation est proposée afin de repérer au plus tôt les signes de vulnérabilité, contribuant à la fois au dépistage précoce et à la déstigmatisation des patients en souffrance. La recherche en suicidologie irrigue aujourd’hui l’ensemble des champs de la psychiatrie : épidémiologie, sciences humaines, psychothérapies, neurosciences. La coordination des travaux affine la prise en charge et élargit la palette des réponses possibles. Aux HCL, les équipes de psychiatrie s’inscrivent pleinement dans cette dynamique. Elles développent des approches innovantes, fondées sur les connaissances les plus récentes et proposent des dispositifs adaptés à chaque étape du parcours d’urgence. Leur objectif : offrir des réponses personnalisées et limiter le recours systématique à l’hospitalisation.