Transplantation pénienne : restaurer les fonctions naturelles de la verge

C’est une recherche ambitieuse, unique en Europe, qui est actuellement menée aux Hospices Civils de Lyon : la transplantation de verge. Pour les patients souffrant d'une perte ou d'une malformation du pénis, cette procédure complexe offre une alternative aux phalloplasties, souvent associées à de nombreuses complications.

En 2006, la première transplantation de pénis a lieu en Chine et se solde par un échec. Mais ce coup d’essai a le mérite de relancer la réflexion autour des alternatives à la phalloplastie (reconstruction de la verge avec lambeaux et prothèse). La technique n’est en effet pas toujours satisfaisante car sujette à des complications. La décennie suivante, quatre autres transplantations péniennes sont pratiquées avec plus ou moins de succès. En Afrique du Sud, deux transplantations prescrites à la suite de circoncisions rituelles mutilantes se déroulent, l’une avec succès, l’autre avec perte due à une infection postopératoire. Aux États-Unis, deux autres greffes de pénis donnent en revanche de bons résultats, l’une due à un cancer de la verge, l’autre à un accident de guerre. Tous les candidats à la transplantation avaient subi soit une amputation du pénis (suite à un accident, une blessure de guerre ou un cancer), soit étaient atteints de malformations congénitales (micropénis, variations du développement génital). L’un des receveurs américains a retrouvé ses fonctionnalités normales, urinaires et sexuelles, jusqu’à avoir un enfant. Pour Paul Neuville et Nicolas Morel-Journel, urologues à l’hôpital Lyon Sud et spécialistes des chirurgies génitales, ce franc succès est très encourageant. En 2020, ils se lancent à leur tour dans un projet de recherche ambitieux et inédit sur le territoire européen. 

La transplantation pénienne repose sur une synergie entre plusieurs disciplines médicales. L'urologie et la chirurgie plastique assurent les aspects techniques de l'intervention, tandis que l'immunologie prend en charge la prévention du rejet du greffon. Par ailleurs, la psychologie joue un rôle crucial dans l'accompagnement des patients avant et après l'opération, afin de favoriser une adaptation harmonieuse à cette transformation corporelle. Une équipe s’est rapidement constituée, intégrant des spécialistes des HCL en urologie, chirurgie plastique, immunologie, psychologie, complétée par les spécialistes en santé publique et en sociologie des laboratoires Reshape (Inserm, Lyon 1) et Triangle (ENS, Lyon 2). Le projet, baptisé Petra-VCA (pour Penile Transplantation – Vascularized Composite Allografts), a reçu le soutien d’un programme hospitalier de recherche clinique à hauteur de 500 000 euros pour trois ans. La première intervention est prévue en 2027.

Innover pour offrir une seconde chance

Les défis à relever sont nombreux : technique, éthique, réglementaire. au plan juridique, les chirurgiens s’appuient sur le soutien de la direction de la recherche pour consolider la méthodologie de la greffe, du prélèvement au postopératoire, et gérer les rigueurs administratives inhérentes à toute investigation de cette ampleur, en lien avec l’agence de biomédecine, l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et le comité de protection des personnes. Dès lors, les chirurgiens peuvent se concentrer sur leur cœur de métier,à savoir « minimiser les risques et perfectionner les procédures chirurgicales afin d'assurer le succès de l'intervention ». La transplantation pénienne est techniquement difficile, en raison du petit calibre des vaisseaux majorant le risque de thrombose. Afin de perfectionner la technique de prélèvement, ils ont pratiqué une quinzaine de dissections sur cadavres, explorant les meilleures approches chirurgicales. Les chirurgiens innovent en prévoyant de prélever l'artère pudendale jusqu'à l'artère iliaque. Cette approche doit « garantir la disponibilité des vaisseaux pour une éventuelle deuxième intervention », anticipent les urologues. La durée moyenne espérée d’un greffon avant rejet étant au moins d’une dizaine d’années, préserver la longueur des vaisseaux faciliterait une nouvelle transplantation ou une phalloplastie.

« Notre volonté est d’offrir au receveur la possibilité d'une fonction sexuelle plus satisfaisante et des érections spontanées », indique le Dr Paul Neuville.

Une transformation physique et symbolique

La transplantation pénienne, comme toute transplantation d'organe, pose des questions éthiques importantes, notamment en ce qui concerne le consentement des donneurs comme des receveurs ainsi que les implications psychologiques et sociales de la procédure. La forte charge symbolique associée à la verge peut entraîner des refus de don ou des réactions inattendues, soulignent les urologues dont l’expérience en chirurgie de réassignation de genre s’avère précieuse pour anticiper les retentissements de la transplantation chez le receveur, qui « doit être capable de faire face au stress postopératoire et au risque de stigmatisation », indiquent-ils.

Une fois l'intervention réalisée, le patient doit suivre un traitement immunosuppresseur rigoureux afin de prévenir le rejet du greffon. Cependant, cette médication l’expose à divers risques, notamment l'apparition de cancers ou d'infections opportunistes. Un suivi médical étroit et prolongé est donc indispensable pour surveiller l'évolution du greffon et ajuster le traitement en fonction de la réponse immunitaire du patient. L'optimisation des traitements immunosuppresseurs permettant de limiter les effets secondaires et d'améliorer la qualité de vie des patients, fait par ailleurs l’objet de recherches menées par les immunologistes des HCL. Pour assurer les soins postopératoires, les chirurgiens misent sur l’expérience des équipes infirmières de l’hôpital Lyon Sud et de l’hôpital de la Croix-Rousse. En outre, un accompagnement psychologique renforcé est prévu pour aider les patients à surmonter les défis liés à cette transformation. « Les implications psychosociales ne doivent pas être sous-estimées, car les patients doivent affronter non seulement le suivi médical, mais aussi le regard de la société et leur propre perception corporelle », relève le Dr Morel-Journel.

Enfin, une évaluation à long terme des résultats s'impose pour mieux comprendre les bénéfices et les limites de cette approche novatrice.

« L'évaluation des résultats après une transplantation pénienne repose sur plusieurs aspects. Il est primordial d'analyser la fonction urinaire et érectile du greffon, afin de s'assurer que le patient retrouve une fonction satisfaisante dans ces domaines. Parallèlement, la satisfaction sexuelle du patient et l'apparence esthétique du pénis transplanté constituent des critères clés dans l'appréciation du succès de l'intervention. Enfin, le bien-être psychosocial du patient est étroitement surveillé, car l'acceptation psychologique du greffon joue un rôle central dans la réussite globale de la transplantation », conclut le Dr Neuville.

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