Des transplantations combinées foie/rein aux transplantations rénales isolées : un vrai changement de paradigme thérapeutique dans les hyperoxaluries génétiques

Lorsque l’hyperoxalurie génétique, ou oxalose, finit par entrainer une insuffisance rénale terminale (IRT), les patients doivent classiquement recevoir une transplantation combinée foie/rein. Une procédure lourde et complexe à mettre en place, qui peut désormais être évitée, tout du moins dans les pays développés : l’injection d’ARN interférent diminue la production endogène d’oxalate dans le foie et permet ainsi aux patients de recevoir une seule greffe, la greffe rénale, comme rapporté par des médecins et chercheurs des Hospices Civils de Lyon et publié dans le New England Journal of Medicine.

Les hyperoxaluries primitives sont des maladies génétiques exceptionnelles et transmises sur un mode autosomique récessif, qui entrainent une production excessive d’oxalate. L’oxalate est un composé très peu soluble, synthétisé dans le foie, dont l’accumulation accroît le risque de lithiase rénale et de néphrocalcinose, avant d’induire secondairement une insuffisance rénale chronique (IRC) qui peut évoluer rapidement vers l’IRT nécessitant le traitement de suppléance (dialyse ou transplantation). 

Les hyperoxaluries primitives engagent donc souvent le pronostic rénal et parfois le pronostic vital, notamment dans les formes à début précoce. Le type 1 (HP1) est de loin le plus fréquent et le plus grave, avec les formes infantiles diagnostiquées dans les premiers mois de vie devant des tableaux d’IRT avec atteinte multi-systémique. L’HP1 résulte d’un déficit enzymatique (alanine-glyoxylate aminotransférase, AGT) dans les peroxysomes du foie, à l’origine d’une hyperoxalurie. Elle se présente sous cinq formes : 1) la forme infantile, particulièrement sévère, avec IRT au cours de la première année de vie ; 2) la survenue de lithiases répétées associée à une altération progressive de la fonction rénale dans l’enfance ou l’adolescence; 3) la forme tardive, avec émission de plusieurs lithiases à l’âge adulte ; 4) la récidive après transplantation rénale en l’absence de diagnostic préalable à la greffe ; 5) les sujets présymptomatiques issus d’une famille où un cas index a été identifié. Au fur et à mesure que la filtration glomérulaire diminue, une surcharge systémique apparaît (oxalose) et n’épargne aucun organe, avec un stockage de l’oxalate notamment osseux.

Jusqu’à très récemment, le traitement conservateur (pyridoxine, hyperhydratation, inhibiteurs de la cristallisation) était la seule option pour ralentir l’évolution de l’IRC vers le stade terminal et la dialyse. Le concept d‘hyperhydratation, s’il peut paraître simple à mettre en place chez le patient, peut en réalité avoir un impact majeur sur la qualité de vie de ce dernier. Une hydratation en continu, le plus souvent via une gastrostomie, entraîne de multiples levers nocturnes pour le patient (et ses parents à l’âge pédiatrique) : c’est ce que les anglosaxons appellent le « burden of disease ».  Au stade d’IRT, aucune méthode de dialyse n’est suffisamment efficace pour compenser la production endogène d’oxalate, de sorte que la double transplantation hépatique et rénale devait idéalement être planifiée avant le stade d’insuffisance rénale avancée, pour limiter les conséquences désastreuses de la thésaurismose, c’est à dire l’accumulation pathologique d’oxalate dans tous les tissus. Cela était parfois difficilement possible du fait de l’accès limité aux greffons, nécessitant des protocoles très lourds de dialyse intensive, avec des séances d’hémodialyse 6 jours sur 7, voire parfois l’association d’une hémodialyse quotidienne la journée et d’une dialyse péritonéale la nuit. Là encore, l’impact sur la qualité de vie du patient et de sa famille est majeur : on demande beaucoup à ces familles alors même que ces techniques d’épuration ne permettent pas de compenser la surproduction hépatique d’oxalate. Au stade de la double greffe, qu’elle soit combinée ou séquentielle, la mortalité à court terme n’était pas négligeable, en partie liée à la greffe hépatique elle-même, et le risque à long terme de complications infectieuses et tumorales associé à une immunosuppression chronique était une réelle préoccupation.

Le pronostic de cette maladie orpheline a heureusement été récemment révolutionné par l’apparition des traitements par ARN interférents (ARNi) disponibles en France depuis 2020, permettant de diminuer la production endogène d’oxalate par injection sous-cutanée régulière (mensuelle puis trimestrielle) d’ARNi, le lumasiran. Les résultats des essais cliniques sont spectaculaires.

Les équipes de néphrologie pédiatrique et de néphrologie des Hospices Civils de Lyon rapportent, en collaboration avec les équipes de Marseille, Strasbourg et Amsterdam, le devenir à 2 ans des premiers patients avec HP1 ayant reçu une transplantation rénale isolée sous ARN interférent, avec des résultats très satisfaisants : tous les greffons sont fonctionnels, sans néphrocalcinose et avec une diminution progressive des traitements spécifiques de l’HP1, dont l’hyperhydratation sur 24 heures, ce qui a un réel impact sur la qualité de vie des patients. Cela permet de vraiment poser les bases d’un nouveau paradigme pour la prise en charge de ces patients, en insistant néanmoins sur leur nécessaire prise en charge dans des centres experts (Centre de référence des maladies rénales rares, MAREGE).

Les Hospices Civils de Lyon ont toujours été reconnus à l’international pour leur expertise sur l’HP1, notamment grâce aux travaux pionniers de Pierre Cochat et la réalisation en 1989 de la première greffe pré-emptive de foie dans l’HP1. A la suite de ces travaux, Lyon a été moteur pour la constitution du groupe de travail européen OXALEUROPE et les premières recommandations internationales de prise en charge en 2012. Les patients lyonnais ont pu être inclus dans les premiers essais industriels internationaux des ARN interférents, et l’équipe lyonnaise a aussi coordonné les dernières recommandations 2023 européennes sur le diagnostic et la prise en charge des HP1. Le registre national des patients HP1 sous ARNi est également centralisé à Lyon.

Aujourd’hui, le travail et la motivation d’un groupe multidisciplinaire de médecins et chercheurs lyonnais (Justine BACCHETTA, Anne-Laure SELLIER-LECLERC, Sandrine LEMOINE, Cécile ACQUAVIVA-BOURDAIN, Nadia ABID, Emmanuel MORELON, Fitsum GUEBRE EGZIABHER, Aurélie PORTEFAIX, Delphine DEMEDE) permet de rapporter cette nouvelle stratégie thérapeutique, qui pourrait véritablement changer la donne pour les patients. Avant une possible prochaine étape, celle de la thérapie génique ?
 

Lire aussi : Justine Bacchetta : mieux prendre en charge les atteintes osseuses des maladies rénales chez l'enfant

Voir aussi
Dernière mise à jour le : lun 01/04/2024 - 20:40
Blocs libres

1- Lumasiran, Isolated Kidney Transplantation,and Continued Vigilance. Bacchetta J, Clavé S, Perrin P, Lemoine S, Sellier-Leclerc AL, Deesker LJ. NEJM 2024
2- Clinical practice recommendations for primary hyperoxaluria: an expert consensus statement from ERKNet and OxalEurope. Groothoff JW, Metry E, Deesker L, Garrelfs S, Acquaviva C, Almardini R, Beck BB, Boyer O, Cerkauskiene R, Ferraro PM, Groen LA, Gupta A, Knebelmann B, Mandrile G, Moochhala SS, Prytula A, Putnik J, Rumsby G, Soliman NA, Somani B, Bacchetta J. Nat Rev Nephrol. 2023 Mar;19(3):194-211. doi: 10.1038/s41581-022-00661-1. Epub 2023 Jan 5. PMID: 36604599