Chez les patients présentant des troubles de la conscience post-coma, de nouveaux marqueurs permettent de préciser le pronostic de récupération de la conscience
Stade le plus sévère de l’agression cérébrale aigüe, le coma est caractérisé par une disparition globale de toutes les dimensions de la conscience et s’exprime par une perte de l’ouverture des yeux et de toute réactivité aux stimulations. Les relations entre cette absence de conscience pathologique – de causes hétérogènes – et la perte de conscience physiologique du sommeil – homogène dans ses mécanismes régulateurs – ont été abordées dans la littérature sous l’angle de l’architecture du sommeil. Mais cette analogie ne semble fructueuse que dans les formes chroniques présentant une récupération de la vigilance d’après leur comportement (les cas de coma chronique sans aucune ouverture des yeux étant exceptionnels) ou d’après leur fonctionnement cérébral (les cas d’éveils non-répondants sans aucun cycle veille-sommeil étant minoritaires). Ainsi, pour mieux comprendre l’état des patients présentant des troubles de la conscience à la suite de lésions cérébrales – causées par un AVC, un traumatisme crânien ou un arrêt cardiaque, par exemple - et mieux anticiper leur évolution, une étude s’est attachée à identifier les caractéristiques des fluctuations physiologiques sur 24 heures et à recueillir des données d’électroencéphalogramme (mesurant l’activité du cerveau sur le court-terme) en les intégrant dans une analyse de long terme, à l’échelle de plusieurs dizaines de minutes ou d’heures.
Elle a été conduite par le Docteur Florent GOBERT, neurologue et réanimateur au sein du service de réanimation neurologique de l’hôpital Pierre Wertheimer en collaboration au sein des HCL avec le Docteur Frédéric DAILLER (réanimation neurologique), le Professeur Claude GUÉRIN (réanimation médicale) et le Professeur Jacques LUAUTÉ (rééducation post-réanimation) mais aussi au sein du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon avec Fabien PERRIN (enseignant-chercheur à l’UCBL) et Claude GRONFIER (chercheur INSERM).
L’étude, menée sur 18 patients à la phase précoce de leur réveil – soit à distance de l’arrêt du traitement sédatif et alors qu’ils étaient encore hospitalisés en réanimation et ne présentaient pas encore de réponse aux ordres simples - se place au cours de la phase de sidération aigüe du système oscillatoire veille-sommeil. Elle a permis d’observer, en dépit de premières hypothèses émises par les chercheurs, que la fonctionnalité résiduelle du système assurant l’alternance entre les états de veille et de sommeil (modèle dit du « Flip-Flop », comparable à une forme d’interrupteur) ne permettait pas une attribution d’état à chaque période car cette tentative de classification apparaissait trop variable entre les patients et trop éloignée des normes constatées dans l’état normal de fonctionnement cérébral. Toutefois, analyser les fluctuations de l’électroencéphalogramme semblait pouvoir rendre compte plus simplement de différences d’états cérébraux entre les patients, associées à leur évolution.
Cette analyse alternative des modulations cérébrales de la vigilance a été mise en lien avec certaines modifications corporelles, comme celles du comportement d’éveil (accessible par un film infrarouge des mouvements d’ouverture et de fermeture des paupières) et des marqueurs biologiques des rythmes circadiens (hormones recueillies dans les urines). Dans le même temps, les facteurs extérieurs ayant pu interférer sur les enregistrements dans le milieu de soins de réanimation ont été recueillis (lumière, sons, période des soins). La confrontation entre ces analyses a permis d’identifier plusieurs marqueurs qui seraient associés à un fonctionnement cérébral plus proche de l’état normal car ils reflèteraient la persistance des variations globales de conscience.
L’association à un pronostic favorable indiquerait que les conditions de l’expression de la conscience (non encore exprimée) seraient respectées dans les cas où : i) les fluctuations neurophysiologiques sont amples et présentent une forte prédictibilité sur une longue échelle de temps ; ii) l’EEG, les hormones et le comportement suivent tous un rythme circadien.
Introduire cette nouvelle vision de l’étude du coma permet donc d’envisager sous un autre angle l’histoire naturelle de la perte et du retour à conscience. Au niveau clinique, cette nouvelle approche de l’étude des troubles de la conscience permet d’appréhender la récupération du coma comme une dynamique de fluctuations se modifiant dans le temps plutôt que comme des sauts entre des « état » consolidés correspondant à des niveaux de conscience, dont la définition est incertaine car elle pourrait n’être basée, par la contingence du moment choisi pour une analyse ponctuelle d’un processus de fait variable, sur un meilleur – ou un pire – comportement observé. Au niveau anatomique, elle fournit une mesure non invasive de la fonction des régions sous-corticales régulant les cycles veille-sommeil en intégrant les mécanismes homéostatiques et circadiens. Au niveau théorique, accéder à une mesure globale de la fonction du cerveau, dans son corps et en relation avec son monde, permet d’envisager une analyse plus écologique des états internes des patients ayant un trouble de la conscience et donne une méthode innovante pour explorer la vision théorique de l’incarnation/corporéité (« embodiment » en anglais) de la conscience, suivant les travaux de Francisco Varela.
Dans l’avenir, l’histoire naturelle de la récupération des cycles de vigilance et de la conscience après un coma seront analyses de manière plus précise et plus longitudinale dans le cadre d’une nouvelle étude financée par l’Agence Nationale de la Recherche, intitulée ComaRhythm et portée par le Docteur Florent GOBERT.
Lien de l’étude : https://www.nature.com/articles/s42003-023-05588-2
Auteurs : Florent Gobert, Alexandra Corneyllie, Hélène Bastuji, Christian Berthomier, Marc Thevenet, Jonas Abernot, Véronique Raverot, Frédéric Dailler, Claude Guérin, Claude Gronfier, Jacques Luauté & Fabien Perrin