« Se faire plaisir, aimer son sujet de recherche est essentiel », Dr Baptiste Balança
Ce Lyonnais pur jus n’est pas issu du sérail. Il a été élevé par un père ingénieur et une mère orthophoniste. C’est après un séjour dans le pavillon T de l’hôpital Edouard Herriot, pavillon dédié à la pédiatrie à l’époque, que sa vocation est née. Quelques années plus tard, l’enfant devenu ado n’a pas oublié. En classe de troisième, il écrit au chef de service du pavillon pédiatrique pour sa demande de stage, qui lui est accordée ! « J’ai assisté à une opération au bloc opératoire », se souvient-il, encore ému. Cette redécouverte du monde hospitalier, cette fois-ci de l’autre côté du lit, ne fait que confirmer son désir de devenir médecin.
C’est à la faculté de médecine Lyon Nord (Est aujourd’hui) qu’il suit son cursus universitaire. Mais Baptiste Balança n’est pas un étudiant comme les autres. Lui, il veut aller plus loin, comprendre les mécanismes de la physiologie. Il aime les sciences, les mathématiques, la physique, la biologie. En deuxième année, il s’inscrit à l’École de l’Inserm et poursuit dès lors un double cursus science et médecine.
« En 2004, on ne savait pas trop dans quoi on se lançait. Nous étions la deuxième promotion. On nous proposait de continuer à approfondir nos connaissances, faire de la recherche. Moi, ça me plaisait… »
La douleur ou la réa ?
En provenance de toute la France, 60 étudiants pas plus, sont sélectionnés pour profiter des cours de « l’école de février » qui a pour but de remettre à niveau tous les candidats. Pendant 15 jours, un véritable esprit de groupe se crée. « C’est très intense, du matin jusqu’au soir. » L’étudiant se passionne pour les conférences durant lesquelles il écoute ces scientifiques tout aussi passionnés qui partagent leurs savoirs avec enthousiasme. De la chimie et de la physique fondamentales appliquées à la biologie, de quoi asseoir un peu plus encore son socle de connaissances. En juin, il compte parmi la vingtaine d’étudiants qui a réussi le concours. Commence alors sa carrière de médecin chercheur…
Pour son master 2 recherche, il intègre le laboratoire Neuropain, implanté au centre de recherche en neurosciences de Lyon. Il décroche son diplôme en 2006 sous la direction du Dr Luis Garcia-Larrea et du Dr Maude Frot. Il mènera sa thèse de science pendant son internat. Côté médecine, il a choisi l’anesthésie-réanimation. « Une discipline polyvalente, qui explore les différents organes, proche de la physiologie aussi, qui relève de l’urgence et avec un fort aspect technique. »
Quant à ses recherches dans le cadre de sa thèse de science, il hésite encore entre la douleur, objet de son master, ou la réanimation. Finalement, après deux ans d’internat, c’est la réanimation qui l’emporte. Il contacte alors Thomas Lieutaud, médecin anesthésiste, chercheur en neurosciences qui, en collaboration avec le scientifique Stéphane Marinesco, mène des investigations sur les phénomènes de dépolarisation du cortex.
La polarisation, c’est la différence de potentiel électrique de la membrane cellulaire due à l’inégale répartition des ions de sodium et de potassium. En neuroscience, l’électrophysiologie permet d’étudier ces phénomènes électrochimiques qui se produisent dans les cellules. Ce sont ces derniers qui permettent aux cellules de communiquer entre elles et de répondre à un stimulus interne ou externe, intervenant notamment dans le fonctionnement du cerveau.
Une expertise unique en France
Cette voie d’investigation mobilise le jeune chercheur, toujours en quête de nouveaux horizons. Il a soif d’apprendre et de comprendre ces mécanismes qui apparaissent en cas de lésions cérébrales.
« Les ondes lentes de dépolarisation sont des dépolarisations neuronales massives temporaires qui se propagent lentement au niveau du cortex à partir d’une zone cérébrale lésée. Elles sont associées à une dépression de l’activité électrique neuronale et engendrent une augmentation du débit sanguin local pour répondre à la demande énergétique nécessaire à la repolarisation cellulaire. Ce déséquilibre de la balance énergétique dans un tissu en souffrance participerait à la progression des lésions secondaires. À partir des études chez l’homme, notre objectif était de décrire l’incidence de ces ondes chez les patients cérébrolésés », résume-t-il.
Il soutiendra sa thèse en 2015 devant un jury international, dont Martin Lauritzen, neurologue danois et Jens Dreier, pionnier allemand dans le domaine des phénomènes de dépolarisation des cellules corticales en Europe. « Ce fut un bon moment à vivre et à partager. On est challengés sur notre travail, les échanges sont enrichissants. Et puis, ensuite, on peut aller boire un verre avec nos illustres invités », commente-t-il, souriant.
Deux ans plus tard, il obtiendra son doctorat en médecine ainsi que son diplôme d’étude spécialisée en anesthésie réanimation. Inclus dans ce réseau international des spécialistes des dépolarisations corticales, conciliant recherche et clinique, il demeure aujourd’hui l’unique spécialiste dans le domaine en France.
Des abeilles, du jazz et des biomarqueurs
En septembre 2023, le chef de service adjoint en anesthésie-réanimation neurologiques à l’hôpital Pierre Wertheimer est nommé maître de conférence des universités praticien hospitalier. Cet amoureux des abeilles, - il possède quatre ruches du côté des monts du Forez-, curieux du monde qui l’entoure, féru de jazz, père de deux enfants, enseigne, encadre des thèses d’étudiants en médecine et en science. Son inspiration en tant que chercheur et soignant, il la puise dans la clinique au cœur du service hospitalier auquel il appartient.
« Actuellement, nous menons avec le centre de recherche en neurosciences de Lyon une étude clinique qui a inclus une vingtaine de patients entre janvier 2021 et mai 2023. L’objectif est d’étudier, à partir de l’enregistrement de l’activité cérébrale des patients en réanimation, les changements de la microvascularisation et du métabolisme du cerveau pendant les phénomènes de dépolarisation. »
Des essais multicentriques investiguant l’intégration des dépolarisations dans la prise en charge des patients en réanimation ont débuté en Allemagne et au Danemark. « Les premières études ayant montré que ces phénomènes pouvaient être corrélés au pronostic remontent à 2010 », précise-t-il. Ces phénomènes à l’origine de lésions cérébrales pourraient donc être aussi des biomarqueurs, annonciateurs de nouvelles lésions après une hémorragie méningée ou un traumatisme crânien…
« Devenir chercheur est un parcours long et fastidieux. Il est essentiel de se faire plaisir, d’aimer son sujet de recherche. » Aujourd’hui, son double cursus prend tout son sens : « Cela m’a permis d’expérimenter l’approche fondamentale qui est à la base de la recherche et de l’évolution de la santé. C’est ce qui nous fait avancer sur la compréhension de la pathologie, de la thérapeutique et, parfois même, sur la compréhension en générale… »
Podcast Neurotopics - 8. Soigner, chercher, enseigner : le métier de MCUPH (avec Baptiste Balança)
Dépolarisations corticales envahissantes - Baptiste Balança - ANARLF