Projet IdBIORIV, pour un traitement ciblé et précoce du sepsis
Le sepsis est défini comme une dysfonction d’organe menaçant le pronostic vital causée par une réponse inappropriée de l’hôte à une infection. Selon un rapport de l'OMS publié en 2020, le sepsis cause un décès sur cinq dans le monde, avec 50 millions de cas chaque année et jusqu'à six millions de décès annuels au niveau mondial. En France, il est à l’origine de 30 000 décès chaque année.
L’examen clé pour le diagnostic microbiologique du sepsis est l’hémoculture, qui permet d'identifier le micro-organisme (bactérie ou champignon) dans le sang et de déterminer sa sensibilité aux traitements anti-infectieux. Cependant, les méthodes conventionnelles d'identification et de détermination de la résistance à partir d'une hémoculture positive peuvent prendre jusqu'à 48 heures.
Or, avec le sepsis, chaque heure gagnée avec un traitement adapté augmente les chances de survie du patient. Le taux de survie est inversement proportionnel au délai d'instauration du traitement.
Face à ce constat, on comprend l’importance d’obtenir un diagnostic le plus rapidement possible. C'est dans ce contexte qu'est né le projet de recherche hospitalo-universitaire IdBIORIV, lauréat d'un appel à projet RHU obtenu en 2019 et bénéficiant d’un soutien de 5,7 millions d’euros.
Ce projet est le fruit d'une collaboration scientifique entre des équipes :
- de l'Institut des agents infectieux (IAI-HCL),
- de l'Institut des sciences analytiques (ISA – CNRS, Lyon 1),
- du centre international de recherche en infectiologie (CIRI- Inserm, Lyon 1, CNRS, ENS).
Il est né de la rencontre entre Jérôme Lemoine, biochimiste analytique et professeur à Lyon 1, expert en spectrométrie de masse, et François Vandenesch, microbiologiste aux HCL, professeur à Lyon 1 et chercheur au CIRI.
Identifier le micro-organisme et prédire sa résistance
Le projet s'appuie sur une technologie innovante de spectrométrie de masse ciblée brevetée, exploitant la protéomique, soit l’étude de l’ensemble des protéines d’un organisme, d’un organe, d’un tissu ou d’un fluide. Contrairement aux méthodes traditionnelles ou à la technologie MALDI-TOF qui identifie rapidement les micro-organismes (en 10-15 minutes) mais ne permet pas la prédiction de la résistance, la technologie développée dans le cadre d'IdBIORIV va plus loin. Elle se distingue par sa capacité à fournir simultanément l'identification du micro-organisme et des mécanismes de résistance, en un temps record.
L’approche protéomique présente un avantage majeur par rapport aux analyses basées sur l'ADN. La génomique, c’est-à-dire l’étude de l’ensemble des gènes d’une cellule ou d’un organisme, identifie l’agent pathogène mais ne nous renseigne pas sur l’expression de ses gènes de résistance. C’est toute la différence entre génomique et protéomique. La spectrométrie de masse ciblée, en détectant l’expression des protéines, permet d’évaluer le niveau de résistance du pathogène, explique le Pr François Vandenesch.
C’est là toute la pertinence de l’objectif du projet de recherche IdBIORIV : identifier et prédire la résistance du pathogène en moins de deux heures à partir d’une hémoculture positive. « L’objectif est de parvenir à obtenir un résultat exhaustif en 90 minutes ». Cette rapidité est rendue possible par un protocole d'analyse qui inclut une préparation d'échantillon rapide en moins de dix minutes et un temps d'analyse en spectrométrie de masse très court de sept à huit minutes pour l'identification, puis dix à vingt minutes pour la recherche de résistance si nécessaire. Le public visé par cette technologie est celui des plateformes hospitalières d'analyses médicales gérant le diagnostic des bactériémies dont le principal problème clinique adressé est le diagnostic du sepsis.
Une technologie rapide, exhaustive, économique
La méthode IdBIORIV se positionne comme une alternative plus rapide, plus complète et plus économique par rapport aux méthodes actuelles. Cette technologie sera valorisée et déployée à la fin du RHU par la start-up Weezion créée dans le cadre du projet de recherche, labélisée « Deep Tech » par BPI France. « Comparée aux méthodes moléculaires rapides (PCR), elle est beaucoup plus exhaustive », défend le chercheur en microbiologie.
Alors que les panels moléculaires peuvent identifier environ 26 bactéries et 7 levures, et détecter 9 mécanismes de résistance, la solution technologique d’IdBIORIV cible 106 bactéries et 7 levures, ainsi que 60 mécanismes de résistance différents, couvrant 183 variants. « Cette exhaustivité concerne notamment les résistances aux bêtalactamines, qui sont parmi les antibiotiques de première intention les plus utilisés », indique-t-il. Et de souligner les avantages concurrentiels : « L’idée est d’être moins cher, plus rapide et plus exhaustif que la PCR. »
Cette technologie a fait l'objet d'une validation analytique rigoureuse sur un large panel de souches et de mécanismes de résistance. Près de 2000 souches (1993 souches représentant 113 espèces), incluses dans 3 127 flacons simulant des hémocultures de patients, ont été testées. Le panel a été choisi pour représenter la diversité mondiale de la résistance et l'épidémiologie des hémocultures. La concordance pour l'identification a atteint 98,6%, et la concordance pour la détection des mécanismes de résistance courants est d'environ 96 à 97%.
Comme le précise le Professeur Vandenesch, le panel de souches testées était très diversifié, incluant des mécanismes rares : « Notre objectif est de couvrir la diversité mondiale de la résistance. »
Tests en conditions réelles : vers un traitement ciblé précoce
Après avoir finalisé l’étape de validation analytique, le projet est passé à la phase de tests cliniques avec l’analyse des hémocultures issues de patients hospitalisés dans vingt services de soin des Hospices Civils de Lyon. Une cohorte prospective a été lancée en 2024, incluant les patients présentant une première hémoculture positive dans les services concernés, notamment en réanimation et aux urgences.
L'objectif ultime est la mise sur le marché de cette solution, portée par la startup Weezion SAS. La solution commercialisée inclurait un préparateur d'échantillon automatique (dont un prototype a été installé en juin 2025 aux HCL), un spectromètre de masse et le logiciel de rendu intégrant l'identification et la prédiction de résistance.
En permettant un diagnostic rapide et précis des infections et de leurs mécanismes de résistance directement à partir des hémocultures positives, la technologie développée a le potentiel de révolutionner la prise en charge du sepsis, en facilitant l'instauration précoce d'un traitement ciblé. Cela contribuera à améliorer significativement le taux de survie des patients et à limiter le recours aux antibiotiques à large spectre, participant ainsi à la lutte contre l'antibiorésistance, une autre priorité de santé publique.

Pr François Vandenesch avec le spectromètre de masse à l'hôpital de la Croix-Rousse.